DAMIEN QUENSON
&
LE GROUPE
D'ENTENDEURS DE VOIX
DE LUNÉVILLE
À Lunéville, une institution médicale permet
la naissance d’un groupe d’entendeurs de voix
Encore peu connu du grand public, le phénomène d’entente de voix est souvent assimilé à la schizophréniei. Pourtant, alors que les personnes schizophrènes (qui peuvent elles aussi vivre des hallucinations auditives) représentent environ 1 % de la population en France, environ 8 % de la population généraleii serait concernée par l’entente de voix.
(i) Un questionnaire en particulier permet d’explorer ce phénomène : le questionnaire de Maastricht. Conçu par Marius Romme et Sandra Escher dont les recherches portent sur la compréhension de l’entente de voix, ce questionnaire intitulé « Entretien avec une personne qui entend des voix », a pour objectif d’explorer ce phénomène à travers treize axes : la nature de l’expérience, les caractéristiques des voix, l’anamnèse de la personne, les facteurs déclenchant les voix, leur contenu, l’origine attribuée par la personne aux voix entendues, la manière dont ces dernières peuvent influer sur son quotidien, le rapport d’équilibre dans sa relation aux voix, le type et l’efficacité des stratégies employées pour gérer l’entente de voix, les expériences vécues pendant l’enfance, l’historique de ses prises en charge, la possibilité pour elle d’aborder son entente de voix avec son réseau social et, pour finir, un dernier axe où elle est invitée à s’exprimer plus librement, tant sur son expérience, que sur les questions qui lui ont été posées.
(ii) Il existe une très grande disparité selon les études.
À mi-chemin entre l’institution psychiatrique ordinaire et le groupe de paroles autonome, un groupe d’entendeurs de voix a pu voir le jour, en 2012, dans l’unité de psychologie médicale de Lunéville. Mettant momentanément entre parenthèses tout diagnostic éventuel, les participants se rassemblent autour de cette même expérience.
Souhaitant vous faire découvrir ce lieu alternatif, aux pratiques peu courantes en France, tout en mûrissant ma reprise d’études, je me suis rapproché de Damien Quenson (D.Q.), ancien infirmier à l’unité, en poste lors de la création du groupe.
Présentation générale de l’unité
E.M. Quel regard l'unité de Lunéville porte-t-elle sur l'entente de voix ?
D.Q. L’entente de voix n’est plus considérée comme un symptôme de maladie mentale dans notre approche, mais comme une expérience humaine. C’est une réaction normale face à un vécu anormal, comme les traumatismes, violences, abus, deuil, etc.
E.M. Votre unité s'adresse-t-elle à tous les entendeurs de voix (même ceux n’ayant reçu aucun diagnostic) ou seulement aux personnes concernées par la psychose ?
D.Q. Le groupe accueille tout le monde, peu importe le diagnostic. D’ailleurs, on ne parle pas de diagnostic au sein du groupe, seulement de l’expérience.
E.M. Outre l'évaluation des besoins de la personne en termes de prise en charge, le bilan d'entrée s’inscrit-il de ce fait – en partie – dans une démarche de diagnostic ?
D.Q. Non.
E.M. À l’issue de ce bilan, une approche individuelle est-elle possible (par exemple, dans le cas où les voix seraient rattachées à un événement de vie difficile) ?
D.Q. Oui.
E.M. Les médicaments constituent-ils un pilier indispensable pour l’unité dans la prise en charge de l’entente de voix, que la personne soit ou non considérée comme porteuse d’une psychose ?
D.Q. Non, c’est au cas par cas.
E.M. Toutes prises en charge confondues, à quelle fréquence au maximum un entendeur peut-il venir dans votre unité ? Quelle fourchette mensuelle en volume horaire cela représente-t il ?
D.Q. Le groupe se réunit tous les jeudi (hors crise sanitaire), pendant environ 2h.
E.M. Depuis la création du groupe de parole initial, d'autres prises en charge précurseurs ont-elles été proposées au sein de votre unité par la suite ?
D.Q. Oui, plusieurs thérapies brèves (l’hypnose, l’E.M.D.R. et l’I.M.O.iii.) permettant un travail plus axé sur les traumas, ont été mises en place. Et j’ai moi-même pu prendre part, avec deux autres collègues, à une journée de sensibilisation à l’Open Dialogue [Dialogue ouvert], organisée par l’équipe de thérapie familiale de Mulhouse, en présence de patients locaux et de leur famille.
(iii) L’I.M.O et l’E.M.D.R sont deux thérapies principalement employées pour traiter les traumatismes. Si toutes les deux recourent à des mouvements oculaires, leur principale différence concerne les types de mouvements effectués.
Présentation et fonctionnement du groupe
d’entendeurs de voix au sein de l’unité
E.M. De quels courants et de quelles approches découle le groupe d’entente de voix ?
D.Q. Le groupe ne provient pas d’un courant spécifique en soit, l’équipe est orientée « rétablissement ».
E.M. Quelles sont les différents professionnels animant ce groupe d’échanges ?
D.Q.Un à deux infirmiers psy-.
E.M. Au sein du groupe, certains des entendeurs ont-ils reçu une formation de pair-aidance ?
D.Q. Non.
E.M. Quelle place est accordée au savoir expérientiel des participants-entendeurs afin de favoriser l’expression d’une dynamique de groupe constructive ?
D.Q. Les infirmiers ne sont présents que pour faciliter les échanges et faire circuler la parole. Le savoir expérientiel des entendeurs est donc central.
E.M. Pour donner sens à la réalité, l’entente de voix peut-elle, à elle seule, être source de difficultés ?
D.Q. Oui, si les voix sont trop envahissantes et trop menaçantes.
E.M. Outre les hallucinations acoustico-verbales, le groupe permet-il également de s’exprimer sur d’autres formes d’hallucinations sensorielles, comme par exemple les hallucinations visuelles, olfactives, ou tactiles ?
D.Q. Oui.
E.M. Le savoir expérientiel d’un entendeur sans diagnostic de psychose peut-il être utile à une personne dite schizophrène ? Et, si oui, de quelle(s) façon(s) ?
D.Q. Oui, peu importe le diagnostic, la manière d’accepter son entente de voix et d’y faire face redonne de l’espoir.
E.M. Si, du fait de ses hallucinations, l’un des participants présente une interprétation, confirmée par son entente de voix mais déformée de la réalité, comment le groupe peut-il alors lui venir en aide ?
D.Q. Le groupe accueille toutes les interprétations sans jugement, le but est que l’expérience fasse sens pour la personne.
Merci à l‘infirmier Damien Quenson d’avoir accepté, à travers cette interview, de nous faire découvrir l’approche de l’unité de Lunéville, dont l’équipe médicale encadre depuis 2012 un groupe d’entendeurs de voix où chaque expérience possède sa place.
Pour parfaire cette présentation, je vous renvoie vers le dépliant de l’unité. Rédigée par Mme Rabot, une infirmière alors en poste lors de la constitution du groupe et gentiment mis à disposition par celle-ci, cette petite brochure retrace la naissance du groupe et de son approche.