LA PENSÉE ACCÉLÉRÉE, OU DE L’INVENTION [1]
Au xxème siècle Européen, la dédimension de/dans la philosophie se nomme : déconstruction. Derrida conserve ce vocable identifiant, dont la « dimension » est bien de dédimensionner, de déplacer sans cesse le thème choisi (l’écriture) pour l’activer par sa fonction différence, sans la différenciation à la façon hégélienne. Enfin, la différence au xxème siècle, faisant suite à la première partie du siècle, kantienne selon notre cadre d’implication dans – et pas seulement d’explication (de) – est dite post-déconstructrice (cf. Wittgenstein, le Tractacus), ou franchement constructiviste (Deleuze). Mais dans tous les cas, un élément commun se manifeste : la fin décisive des temps ontologiques qui contrarie le destin si affiché de l’Europe-pensée.
Pour ce qui touche à l’europanalyse, elle déconstruit analytiquement, mais ce constructivement en europe, c’est-à-dire à même le réel même (1). Et la déconstruction constructrice suppose une avancée en épaisseur, utilisant le décalage comme facteur d’approfondissement par déboîtement et réemboîtement.
1 À même le réel même, l’analyse méthodique (europanalyse), ou « spatiolyse per-manant », rencontre l’efficace brute du réel par qui se retourne, se synthétise, la science en immanence, ou science s’inventant par l’invention du/dans le réel (écuménal). Le concept d’invention, invention par intraction (ou interaction-en-interne) n’est plus abscons ou miraculeux (cf. la magique invention dite géniale).
En dernier lieu, le renouvellement de la structure de pensée dans la méthode europanalytique, renouvellement décisif comme on va voir, est autorisé par l’efficace de l’europanalytique : cette efficace travaille via la déconstruction absolue de la Représentation seulement mimée par Heidegger comme à son habitude. Heidegger qui relativise, mais seulement en commentant. Il ne touche pas en-dedans de l’endon, mais seulement aux difficultés d’interpréter poètes et philosophes depuis sa manière : aménager une néo-ontologie. L’europanalyse pousse son intérêt au-delà de l’extrême, depuis le sans-fond absolu. En tant que « dé-représentation » opérante et ce dans l’endon, elle « s’in-vestit » dans la nuit de la culture Europe et dans le noir « architecturé-architecturant » de la civilisation europe. L’idée centrale de représentation et ce jusqu’à la nescience en culture Europe, ouvre la voie à une pensée dite instinctive, qui relativise les distinctions véhiculées par le discours représentationnel. « Instinctive », la pensée déreprésentationnelle est mystique. Ou : en privilégiant le discours de/dans la pathos, une mystique radicale est dite accélérer le pathos, et ce sans discours « ef-fectuant ». Toutefois, « accélérer » ne doit pas se comprendre en référence à l’espace-temps. Accélérer, dans notre cas, c’est accentuer qualitativement le sens depuis le sens. Les sciences scientifiques sont ici largement débordées, et qui plus est intrinsèquement. Car il faut rendre l’idée d’une inflammation significationnelle et locale du sens global, ce domaine d’ensemble. Le significationnel œuvre intentionnellement, en respectant en creux une loi d’absolu (préséance). Ceci dit, on se rapprocherait d’une pensée clinique, certes conçue en un grand sens élargi. Elle serait susceptible de co-fonder une clinique médicale qui, à force de sonder les choses d’homme et non de travailler à même les choses en elles-mêmes, se ruine, par exemple en la psychiatrie contemporaine, à arguer du DSM empirique, et ce au lieu de commencer par construire une psychopathologie générale… qui, de fait, demeure sensible, comme chez Jaspers, K. Schneider, Minkowski, par exemple.
Allons plus loin, c’est-à-dire poursuivons et relayons l’accélération de pensée en l’europe réelle. Comment gratifier la clinique médicale ? L’« intrinsèque », comme nous disons, ou l’interne, est un domaine d’intuition en qui prend forme une pensée « clinique ». Cette pensée fait zigzag, zigzag qui se déploie au sein d’un continuum de clinique général. Sachons cependant que l’épaississement de pensée n’est point énergie (ou dans l’espace-temps). En immanence, et sans l’encadrement spatio-temporel, travaille une « en-ergie » encadrant une plasmologie permanente et décadrant au maximum, un sans-Dieu qui s’est donc aucunement matière à enfermer par un esprit. Tout travaille donc en épaisseur avec une torsion totale et im-manant à même la chose elle-même et sans production d’espace-temps. Voilà qui fait encore accélération. Et c’est à cette dernière de se renforcer immensionnellement, ou d’accélérer. Voilà ce que signifie pratiquer en l’indifférence de l’Absolu, sans concept représentationnel et fixant. On écrira notamment que vaut un Absolu, absolument… ad-solument (2). Voilà une pensée qui s’annonce – on le verra – comme exercice mystique, et ce en accélérant et du plus « proche » et du plus « lointain » (3). L’ensemble fait « enspace » dynamique et déferlant contre l’espace de la pensée représentationnelle – c’est-à-dire au vrai une pensée spatiolytique, rappelons-le en méditant. Dans cette mesure dite mystique, ou hors la philosophie régnant dans la culture Europe, l’accélération accélère.
2 a) Dans un enspace de structure spatiolytique, on dira que l’Absolu fait retrait, en tant qu’autosuffisant, par l’affirmation interne de sa force, sans rapport relationnel. Ainsi, l’Absolu est l’amplitude même du ressort « lytique ». L’Absolu se retire, dans sa force im-manant.
b) L’absolu, absolument, est la maniera, ou se « dé-cline » spatiolytiquement. Nous voyons que la « spatio-lyse » contre la pensée en tant qu’idéalisation rectiligne.
c) C’est la formulation en zigzag qui brise, ou « lyse », la rectiligne. Ce faisant, on dira que la « lyse » brise les latéralités au nom d’un altéral europanalytique. En ce sens, l’Absolu est aussi bien l’Adsolu. Voilà une pensée 360 degrés, une « mystique (spatio)lytique » s’en-fonçant par présentation sans représentation.
3 La pensée mystique est une pensée autonome en regard d’un trajet existentiel mystique (cf. Jean de la Croix et le mont Carmel). Cependant, notre culture n’a pas encore produit le concept de pensée mystique et non ratiocinant, fût-ce dans les Sciences. Dans notre culture Europe, l’idée de science mystique opère (encore) incognito. Notre culture requerra cet accomplissement tant que nous n’aurons pas mise en place une pensée europe civilisationnelle, ou plus qu’Europe des cultures.
Est exemplaire alors, la pensée par nous déjà appelée « clinique ». Cette dernière, en effet, s’installe au pinacle d’une pensée inventant. En l’interne se décide un poïein civilisationnel, sans rapport à la maladie de la pensée nihiliste, selon Nietzsche. En civilisation, et non plus en culture, le poïein pense sans l’empirie des cinq sens, ce qui fait songer – mais de fort loin – à Hegel pour qui le Concept s’élève hors l’empirie, mais non pas contre l’empirie. En effet, disons que Hegel « idéalise » hors l’abîme en surface. Hegel ne saisit pas, à la différence de Kierkegaard, l’im-mensité foudroyante inscrite dans le milieu de la vie affective. La situation est fort lourde, et vaut dans l’épaisseur d’une pensée abyssale clinique.
En clair, et dans la situation europe, la pensée s’incline et vit de/dans l’abîme. Oui : elle fait « clinamen » hors surface en s’abîmant pacifiquement. La clinique, si décisive, est une pensée à la limite qui bouscule celle-ci, et ouvre à la néo-civilisation. europe s’incline ou brise irréductiblement et inventivement les rectitudes idéalisatrices. Ainsi est l’accélération s’accélérant, et qui accélère encore… Intrinsèquement, elle trouve son enspace (le spatiolytique) dans l’immanence intuition immanente. Elle bâtit un domaine mystique, un « monumentum » selon Merleau-Ponty, et errant dans Le visible et l’invisible. Le domaine est tendu-distendu. Il s’insère avec force en-ergie dans l’interne im-manent. L’enspace domanial spatiolytique est puissamment oublieux de l’aperception transcendantale kantienne, par exemple. Un poïein, toujours identique à soi dans son accentuation accélérante, est un nœud civilisant, aussi bien le pire que le meilleur. Dans un univers d’apocalypse (apocalypsis = révélation) où la puissance s’accélérant – ce continuum – émerge du plus profond de l’immersion, la pensée transculurelle brise les immobilisations. Ces dernières sont des cataclysmes culturels implosants, ou idéalisations des idées vives, c’est-à-dire encore apocalyptiques. Les cataclysmes hissent les horizons et cassent ainsi les domaines des cieux. Mais le tout s’accélère de nouveau : « Gaïa » a puissamment besoin d’ « Ouranos », dans la mesure où ces deux instances inventent, mieux, accélèrent en tant que s’inventant. On saisira alors bien que l’Homo inventif, génial dira-t-on, est mystiquement accéléré, mais sans accélérer depuis son soi en-soi lui-même… Homo se représente représentationnellement sans rien présenter. Homo Sapiens est congruent avec la position cataclysmique. C’est une forteresse pétrifiée de soi. Il est en tant qu’absence, ou Atlantide absolument immergée. L’europanalyste, et non point le philosophe, sait que l’expérimentation forcée, ou athlétique, renvoie à une expérimentation depuis l’im-mamence. Cette dernière spatiolyse en per-manant évince Homo. Ce dernier est sans nature. Il n’a pas en lui de constante pétrifiée. Alors, Homo ou théorie-théoria est dynamisé (en-ergisé) sans reste. Complémentairement, Homo agissant se déshumanise. Un exemple exemplaire chez Sartre. Dans l’Être et le Néant, Homo (cf. le pour-soi) est exempt de nature. Car il s’agit d’éviter la pétrification (l’en-soi) culminant en une Forteresse vide, selon le mot de Bettelheim. Ainsi, et expérimencié, Homo est poïétisé, fauché de soi, et sans viatique. Homo se donne par réduction, comme chez Freud où la conscience se donne par l’inconscient lytique. Sachons ici que, en le domanial europe, l’en-ergie internant n’est pas absolument énergie – comme chez Freud – unilatérale (cf. Carnot), mais encore translatérale, ou mieux : altérale – et écuménale. Dans l’altéral (écuménal), repose la notion d’Oïkos, une Maison, un Domus. Ce dernier domaine n’est pas essentiellement spatio-temporel, notons-le fortement et définitivement. Dans ces conditions inouïes, beaucoup plus au large que dans la pensée culturelle, la clinique de l’invention s’incline en elle-même, et brise le consensus culturel. De la culture au réel écuménal, s’installe un processus qui, à ainsi s’incliner déreprésentationnellement, s’accélère abyssalement – et brise les limites géométriques, casse les délimitations fixes, celles se posant en identité. Ainsi, l’identité du Logos des sciences scientifiques exige qu’il n’y ait pas de troisième terme à l’intérieur du rapport d’identité doublée de « A=B ». Autrement dit, et par esprit de clarté, disons que le tiers, pour qui, si « A et B », « A » ne saura se dire de « C » sauf si « C » est pensé à l’intérieur de la relation d’identité de « A » et « B ». Le tiers est exclu. L’identité de « A » et « B » ne saurait donc accepter que « C » entre dans le rapport d’identité de « A » et « B ». Le tiers ne saurait être inclus. Mais tout peut se transsubstantier par épaississement. En épaisseur transpatiale, un tiers terme peut entrer dans l’identité en surface de « A » et « B ». Il y a un tiers-inclus. C’est qu’un impressionnel immense traverse la sensation défaite du mesurable (cf. contre Fechner etc.). Nous avons ainsi affaire à un « intrinsèque » (un « en-dedans ») qui ne dépend aucunement de l’attitude naturelle (selon Husserl), celle dont relève les sciences scientifiques.