À la fin des années 90, Serge Valdinoci participait à l'activité du groupe de recherche rassemblé autour de François Laruelle et de son projet de Non-Philosophie, groupe jusqu'alors principalement actif éditorialement sous l'apparence d'une revue : La Décision Philosophique. Une des réalisations phares de cette période de la Non-Philosophie était le projet d'un Dictionnaire de Non-Philosophie, ouvrage collaboratif définissant le spectre large d'une terminologie spécifique dont le déploiement permettrait de cerner la méthode, la doctrine et l'attitude de pensée proposées par Fr. Laruelle -- le projet aboutira aux éditions Kimé en 1998.

Cependant, l'évolution de la doctrine laruellienne et des Principes qui la définissaient -- ce qui a pu être appelé "tournant transcendant", "tournant prohibitif", ou "tournant restrictif" de la Non-Philosophie -- excluait en grande partie les apports spécifiques de Serge Valdinoci et de l'europanalyse à la théorie de l'immanence et de l'invention que les deux auteurs avaient en commun pour programme partagé.

Déjetée d'une des séances de travail du Dictionnaire, la fiche manuscrite que nous présentons ici concerne précisément un point de doctrine auquel la nouvelle orientation laruellienne interdisait de prendre place dans le cadre de la Non-Philosophie. Son caractère d'ébauche transitoire, peu finie, est compensé par le caractère central qu'elle manifeste de l'impossibilité, attestée à partir de cette période, d'une conciliation théorique entre l'europanalyse et la Non-Philosophie. Elle concentre les difficultés théoriques que la nouvelle posture laruellienne de rigueur rendait désormais impossible à surmonter.

L'affect est en effet au cœur des descriptions de l'immanence, de l'Un comme le nomme Laruelle, de l'In comme préfère le désigner Valdinoci à cette époque, mais plus intimement qu'il appelle l'endon. Il est le vécu immense pour l'europanalyse, la racine des dimensions perceptives, le foyer d'effondrement, d'en-creux, dont l'invention est l'exploration même ; selon la Non-Philosophie, il est le noyau innommable de répulsivité (de) l'identité, l'indescriptible sans-essence qu'aucune représentation ne peut prétendre atteindre. Cet interdit méthodique déterminé par Fr. Laruelle à cette période qu'il distinguera sous la désignation "Philosophie 3", écartera durablement, sinon irrémédiablement, les deux développements théoriques et mystiques parallèles, ou du moins de bon voisinage, que S. Valdinoci et Fr. Laruelle avaient jusqu'alors permis de s'élaborer. 

À ce titre, c'est une archive précieuse à parcourir, à différents niveaux de considération, qu'ils soient théorique, historique, stratégique, ou simplement personnel et relationnel. Ici se montre le photogramme instantané d'une époque de la mystique en France, à la fin du XXème siècle. Mieux qu'un jalon, on peut peut-être y discerner une "unité de valeur"...

 

 

 

 

 

L’AFFECT

 

Définition

L’affect est l’apriori absolu, emblématique, des problématiques de l’affectivité passionnelle et de l’effectivité de connaissance.

 

Caractéristiques de l’affect

 

1. L’affect est une structure mère :

                a. C’est d’abord un bloc impressionnel, encore nommé écumène vif, tout à fait im-mense. Husserl, Nietzsche, Wittgenstein (l’enjeu des choses), esquissent de loin ses caractéristiques. Cette structure mère est atteinte par puissantialisation (Cantor) de la forme pure de l’intuition kantienne ; elle est intuition II, non-darwinienne : les Hommes et leur saisissement intérieur dépendent d’un être-saisi en affect, ou être en l’immanence. Il quitte la tête d’affiche du réel.

                b. La structure de l’affect est af-fect. C’est une prise en prise, absolument déprise de l’affectivité. L’affect est « faire retour » (af-fect) débutant, la re-mise en commencement visible du terme, c’est un enfoncement emblématique, une donation à même la réduction. Cette structure est en épaisseur, avec des ampleurs (puissances) d’épaisseur.

 

2. L’affect intrastructure les sciences scientifiques. C’est un eidos sensible (tabou en Occident) sur lequel prend l’essence philosophique et ses formes pathognomiques. L’affect est le réel inventant le réel, distinct du réel culturel où s’accumulent les connaissances. Les sciences scientifiques réduisent la donation interne qu’est l’affect et produisent des représentations satellisées. La sphère de donation interne (sans réduction) est celle du fou réel, délirant, de la royauté scientifique.

 

3. En Occident, l’écriture, rend invisible l’affect, qui est toutefois à même (ou dans l’épaisseur de) du visible. Pourtant, Kafka, Artaud etc. ont montré que les effectuations de l’écriture sont des scarifications énergétiques, des organisations – neutralisées – du grand « corps sans organes » de la culture écuménale. L’affect est énergie sacrificielle. C’est le corps, en intuition 2, du dire habituel en intuition 1 (kantienne, darwinienne). Une science première, traitant en général de l’invention puissantialisante du réel étudie l’en-formation vive affective des formes effectives. Elle a besoin de développer un langage, au même titre que les algorithmes en sciences, ou que ce langage réel qu’est la technologie dans les sciences dures.

 

S. V.